Trans, un Nom-du-Père qui circule aujourd'hui
Christel Van den Eeden
À l’ère où l’Autre n’existe plus, et où nous assistons à l’évaporation du père [1], le maître aveugle [2], qu’est le discours de l’inconscient, n’est pas toujours opérant pour voiler le réel de la jouissance et du corps.
Confronté à cet indicible, un sujet peut se tourner vers le discours qui circule aujourd’hui dans les médias et sur les réseaux sociaux, afin d’y cueillir des signifiants pour nommer ce à quoi il se heurte, mais aussi pour serrer le corps, trouver une inscription sociale ou recouvrir le « désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie [3] ».
Or, ce discours emprunté peut se plaquer sur la parole du sujet ; le sujet est parlé plutôt qu’il ne parle, souvent il ne peut pas avoir recours à l’hystorisation [4] et a peu de choses à dire sur ce qui lui arrive. Comment, alors, parler avec des sujets pour qui la parole ne semble pas fonctionner ?
Le livre La solution trans, qui reflète le travail effectué lors de la Conversation Uforca de 2022 [5], présente et commente six cas cliniques de sujets qui se sont appuyés d’une façon ou d’une autre sur le discours contemporain qui propose le signifiant trans et la modification des organes du corps comme une manière de « contrer le malaise inhérent à l’effraction du sexuel » [6]. Pour ces sujets, il est impossible de s’identifier à l’image du corps et à la réalité organique parce qu’elles ne correspondent pas à leur vécu ou à l’image désirée.
Selon Jacques-Alain Miller, « le psychanalyste récuse le postulat “Je dis, donc je suis”, et se donne le droit d’interpréter » [7]. Il propose d’étudier « la zone qui précède » [8] cette certitude, une zone qu’il nomme l’espace « pré-trans » [9]. Et dans les cas précis dont le livre témoigne, il apparaît qu’il ne s’agit pas d’un commencement absolu, « c’est un résultat. C’est le choix d’une solution parce qu’il y a quelque chose de problématique avant, un “petit truc” » [10].
Les cas en question montrent comment « un parcours analytique permet d’isoler avec [le sujet] son choix comme tel, d’en situer les coordonnées, de repérer en quoi il est apparu, à un moment, comme une “solution” à un malaise antérieur, voire de toujours » [11].
J.-A. Miller pose que « nous pouvons […] avancer, [que] le signifiant trans, est un des Noms-du-Père, un Nom-du-Père qui circule aujourd’hui » [12]. Mais il précise que l’ « on constatera ici à quel point diffèrent de toute idéologie les dires du sujet qui a fait appel à un psychanalyste et qui ne songe pas le moins du monde à généraliser sa difficulté d’être, ni à faire de la transition un idéal » [13]. Il indique que « notre abord est beaucoup plus minutieux […] [et que] nous arrivons, avec notre amour du détail, à quelque chose de bien plus précis, qui serre mieux la subjectivité » [14].
Au lieu d’intervenir à l’aveugle dans le réel du corps, le psychanalyste invitera donc le sujet à faire en sorte que « ses décisions procèdent d’un “itinéraire de parole”, plutôt que d’une poussée en court-circuit [15] ».
Références
[1] Holvoet D., « Le maître aveugle », texte d’orientation disponible sur le blog.
[2] Ibid.
[3] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.
[4] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572.
[5] Miller J.-A (s/dir.), La solution trans, Paris, Navarin éditeur, 2022.
[6] Caroz G., « Avant-propos », in Miller J.-A. (s/dir.), La solution trans, op. cit., p. 8.
[7] Miller J.-A., « Six réponses à Olga », La Cause du désir, n° 114, juin 2023, p. 83.
[8] Miller J.-A., in Miller J.-A. (s/dir.), La solution trans, op. cit., p. 118.
[9] Ibid., p. 115.
[10] Ibid., p. 118.
[11] Caroz G., « Avant-propos », in Miller J.-A. (s/dir.), op. cit., p. 8-9.
[12] Miller J.-A., in Miller J.-A. (s/dir.), La solution trans, op. cit., p. 181.
[13] Ibid., quatrième de couverture.
[14] Ibid., p. 118.
[15] Caroz G., « Avant-propos », in Miller J.-A. (s/dir.), op. cit., p. 8.