Du masque comme porte voix
René Fiori
Lors du débat avec Michel Onfray, Jacques Alain Miller [1] rappelle la traduction erronée du terme freudien de gleichschwebende Aufmerksamkeit. Il ne s’agit pas d’une « attention flottante », mais d’une « attention égale » que l’analyste porte à toutes les parties du discours de l’analysant.
C’est en quelque sorte un prolongement de cette position qu’apporte Lacan dans son Séminaire …ou pire [2], lorsqu’il engage sa critique d’un propos qu’il a entendu : « l’analyste ne fait pas semblant, il occupe la position du semblant ». C’est un semblant qui a une fonction précise : « il donne, ce semblant, à autre chose que lui-même, son porte-voix » [3]. Dans son cours, « De la nature des semblants », Jacques-Alain Miller a fait du semblant un concept, et rappelle ce que Lacan dit : « que la jouissance ne s’interroge jamais que du semblant » [4]. Dans ces deux propos s’agissant de l’écoute et de l’analyste dans le champ du regard, la position de ce dernier, grâce à son analyse, a perdu toute adhésivité au « pathos » [5]. Pour préciser encore, Lacan évoque le masque grec : « Il donne, ce semblant, à autre chose que lui-même, son porte-voix, et justement de se montrer comme masque, je dis ouvertement porté, comme dans la scène grecque. [6] » Le livre de Florence Dupont, L’orateur sans visage, essai sur l’acteur romain et son masque [7], nous en donne une idée : « L’acteur privé de visage, et donc d’animus, se disloque et se recompose à partir de ce masque persona qui va fonctionner à la place du visage, mais d’un visage qui n’est pas le miroir d’une âme et qui, ne serait-ce que par sa fixité, n’en est pas non plus l’illusion. [8] » Le masque et la voix de l’acteur ont une fonction : produire du plus-de-jouir chez le spectateur, ici un « plus-de-jouir communautaire ». Florence Dupont circonscrit un peu plus son propos lorsqu’elle en donne cet exemple : « Le masque d’Atrée, iratus Atreus, n’est pas le visage d’un homme en colère, mais les traits de la colère même. [9] » Lacan, lui en infléchit la fonction en désignant le masque comme porte-voix, et il élargit son sens en voyant cette fonction dans l’irréel de la projection du cinéma [10]. Cette position de semblant a une incidence chez le névrosé, « démontrer que la terreur ressentie du désir dont s’organise la névrose », soit la défense, n’est que vaine conjuration au regard du travail de l’analyse en cours. Ainsi cette fonction est-elle formulée comme un pousse-au-travail de l’analysant. Cela pose aussi la question de l’objet technique et technologique, téléphone ou internet, peut-il supporter cette fonction de masque, quand l’analyste y fait recours, toujours avec précaution ?
RÉfÉrences
[1]Pour en finir avec Freud ? Michel Onfray — Jacques-Alain Miller https://www.youtube.com/watch?v=0sfVH53IqVQ à la 37ème minute.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2011, p. 172.
[3] Ibid.
[4] Miller J-A, « Un divertissement sur le privilège », La Cause freudienne no 65, 2007, p. 167.
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, op. cit.
[6] Ibid.
[7] Dupont F., L’orateur sans visage, essai sur l’acteur romain et son masque, Paris, PUF, 2000.
[8] Ibid., p. 154.
[9] Ibid., p. 156.
[10] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, op. cit.